Théorem est un univers fantastique contemporain développé autour d’un jeu de rôle, entièrement téléchargeable, et d’un roman, publié au rythme d’un chapitre toutes les deux semaines.

Week-end de rêve

Arnaud respira longuement l’odeur du papier, elle lui évoquait des souvenirs d’enfance heureuse et de chaudes après-midi d’été à lire jusqu’à en avoir les yeux épuisés. Il tourna délicatement quelques pages de la pulpe de ses doigts, le livre était dans un état remarquable. Il avait raté sa sortie à l’époque, il y a maintenant quelques années, et n’avait pas pensé à se le procurer depuis. Le trouver au hasard des rayonnages surchargés de cette librairie était une excellente surprise d’autant que la première page du livre avait été dédicacée par l’auteur. S’y trouvait ainsi un chat noir à l’attitude arrogante, hommage à l’une des séries qui avait fait le succès de l’artiste responsable de cette adaptation en bd.

-          T’as trouvé quelque chose ? Intervint Cédric en regardant par-dessus l’épaule de son ami ce qu’il avait bien pu dégoter de si captivant.

-          L’adaptation de 2008 du petit Prince en BD, se réjouit le jeune homme, dédicacé en plus.

-          Oh, ça doit pas être donné !

-          Ça va, fit Arnaud en refermant le livre et en caressant machinalement la couverture, surtout qu’il est dans un état impeccable.

-          J’imagine que t’es déjà décidé ! conclu Cédric en lui tapant amicalement dans le dos.

Arnaud était arrivé la veille au soir dans la capitale. Il était descendu de train vers minuit après une grosse journée de travail et s’était immédiatement rendu à son hôtel pour être en forme le lendemain. Il avait beau habiter en banlieue lointaine, quand il voulait profiter de son week-end il dormait toujours sur place pour ne pas subir le calvaire des transports. Il avait ainsi pris ses habitudes dans une maison d’hôtes idéalement située près d’hôtel de ville et donc la décoration s’inspirait du livre « Le petit prince ». Il avait ainsi déjà eu l’occasion de dormir dans les chambres sur le thème de la Rose et du Roi. A sa connaissance, tous les personnages étaient représenté, à l’exception notable et surprenante de celui du Renard. Arnaud avait découvert cet endroit en discutant avec un jeune auteur également passionné par l’œuvre de Saint-Exupéry. Bien que l’ancien pilote ne se soit jamais exprimé sur le sujet, la rumeur voulait qu’il se fût installé ici à ses débuts de journaliste et qu’il ne manquait jamais d’y revenir lorsqu’il était de passage à Paris. Les puristes prétendaient même qu’il y aurait écrit l’essentiel du petit prince avant de le publier à New-York.

Aujourd’hui, les propriétaires en avait fait un sanctuaire où se côtoyaient auteurs en quête d’inspiration, fans avides de vivre pleinement leur passion et simples curieux. Arnaud ne manquaient jamais une occasion de venir dans cette maison d’hôte et n’avait qu’un seul regret : ne pas pouvoir choisir sa chambre. Cette fois par exemple, il était tombé sur la seule qui n’avait pas de thème et c’était plutôt frustrant. Alors qu’il traversait le long couloir défraichi menant à sa chambre, il entendit comme des bruits de lutte dans celle de son voisin. Planté devant sa porte Arnaud s’était demandé s’il devait faire quelque chose. Du haut de son mètre quatre-vingt c’était un solide gaillard et s’il ne savait pas vraiment se battre sa carrure avait souvent suffit à désamorcer des situations tendues. Il hésitait encore lorsque la porte voisine s’ouvrit avec fracas pour dévoiler un petit bonhomme rouge de colère et vociférant.

-          Et je déteste les chats, s’époumona-t-il en essayant de donner un coup de pied à un gros matou noir qui s’extrayait de la pièce avec suffisamment de vivacité pour éviter les coups pataud de son agresseur.

Arnaud écarquilla les yeux devant la scène surréaliste, un temps infime que l’animal mit à profit pour se faufiler entre ses jambes et bondir sur son lit.

-          J’imagine qu’on est colocataire, s’amusa Arnaud en tendant la main vers l’invité surprise qui en huma suspicieusement les contours, ah, tu dois sentir Kuro ? Promis, si tu lui dis rien, je ne dirais rien non plus !

Le jeune homme s’était endormi peu après, son inattendu compagnon de chambre à ses pieds. Il s’était réveillé tardivement, peu de temps avant l’heure de son rendez-vous et s’était préparé hâtivement en essayant d’ignorer l’atroce douleur qui vrillait sa jambe et dont il ignorait tout à fait la provenance. Un énorme bleu sur sa cuisse ne laissait aucun doute sur la nature de la blessure mais il ne voyait absolument pas comment il aurait pu se cogner de la sorte. Tout en essayant de ne pas y penser pour ne pas gâcher sa journée, il avait rejoint Cédric et son petit ami David vers 10h ce matin-là. Hormis une pause pour midi histoire d’engloutir un bon burger en terrasse en profitant du soleil, ils avaient principalement erré dans les ruelles du Paris historique, flânant chez des petits libraires qu’ils ne connaissaient que trop bien, pour explorer leurs inépuisables collections. Cédric s’en réjouissait, il avait toujours partagé la passion d’Arnaud pour la bande dessinée contrairement à son petit-ami qui ne suivait guère que pour lui faire plaisir.

-          Bon, on y va les mecs ? intervint David les yeux toujours rivés sur son portable et qui s’ennuyait ferme dans la boutique depuis précisément 37minute et 42 secondes ce qui représentait un nombre considérable de parties de Candy Crush, même pour lui. J’commence à avoir méchamment la dalle moi !

-          Oui, c’est bon, désolé, s’excusa Arnaud conscient d’avoir été un peu long, je passe juste en caisse et on peut y aller.

-          J’te comprends pas Arnaud, tu passes toute la semaine à bosser dans ta librairie, quand t’es en week-end tu devrais avoir envie d’sortir le nez de tes bouquins, non ?

-          Bah non, c’est pas une corvée mon boulot ! J’adore ça et puis, ici le marché de l’occasion est beaucoup plus fourni alors ça me permet de voir ce qu’on trouve. J’fais de l’espionnage industriel si tu veux.

-          C’est ça James Bond, je te donne le permis de payer qu’on puisse aller bouffer. Cingla David en se dirigeant d’un pas décidé vers la sortie.

Ses achats réglés, Arnaud sorti précipitamment du magasin pour ne pas faire patienter plus longtemps ses amis et manqua de tomber en faisant un faux mouvement. Sans même quitter l’écran de son smartphone des yeux, David le rattrapa de justesse par le col avant qu’il ne s’écrase le nez sur le trottoir.

-          A force de pas sortir le nez de tes bouquins, tu tiens même plus debout ? Ironisa l’inattendu preux chevalier.

Cédric le poussa de côté en lui jetant un regard noir qui n’augurait rien de bon, David n’insista pas, il avait envie de passer un bon week-end pas de s’embrouiller inutilement.

-          C’est toujours ta jambe qui te fait mal ? S’inquiéta Cédric en aidant son ami à se redresser.

-          Ouais, je me demande vraiment comment je me suis fait ça cette nuit parce que ça fais un mal de chien.

-          J’paris que t’es somnambule ! S’amusa David légèrement en retrait en mimant un zombi.

-          A mon âge, je pense que je m’en serais déjà rendu compte.

-          Pas sûr, intervint Cédric, c’est peut-être une manifestation du stress ou un truc du genre.

-          Mouais, j’ai connu plus de stress. On serait en période d’inventaire je dis pas, mais là…. Si j’ai le temps de venir traîner sur Paris c’est que niveau stress je me porte plutôt bien.

Cédric planta son regard au plus profond de celui vert émeraude d’Arnaud comme pour y trouver les réponses aux questions qu’ils se posaient. Il pinça finalement les lèvres d’un air déçu avant de conclure.

-          C’est peut-être autre chose, mais c’est vrai que ça expliquerait.

-          Tiens, reprit David en montrant l’écran de son téléphone. J’ai entendu parler de cette appli : Sleepw@lk. Tu l’installes sur ton téléphone et tu le garde sur toi pour dormir. Si jamais tu te lèves dans la nuit, ça va te géolocaliser et au bout de 10minutes ça sonnera pour te réveiller.

-          C’est pas vrai ? ça existe ça ?

-          Bientôt nos téléphones pourront même appeler sans nous alors une appli de flicage de plus c’est pas hyper étonnant. Bon qu’est-ce que t’as acheté de beau qui nous a fait perdre autant de temps ?

-          Une adaptation du petit prince en bd que je n’avais pas.

-          Un livre pour gamin, sérieux ? souffla David qui n’arrivait décidément pas à comprendre la passion de ses amis pour les petits mickey.

-          Houla malheureux, s’interposa Cédric qui n’ignorait rien de la passion d’Arnaud pour Le petit Prince, tu ne sais pas dans quoi tu t’engages, tu aurais plus vite fait de t’excuser tout de suite.

-          C’est un chef d’œuvre de la littérature reconnu internationalement renchérit Arnaud bien décidé à ne pas laisser passer l’affront. Une fable humaniste et pleine d’espoir propre à inspirer tout un chacun, et surement pas un vulgaire livre pour enfant ! C’est pas Dora l’exploratrice !

-          Tu m’en diras tant, bougonna David, avant de désigner la terrasse d’un restaurant, où une table miraculeusement vide semblait les attendre, dans l’espoir de couper court à une discussion qui l’ennuyait avant même d’avoir démarrée.

-          D’ailleurs, tu vas toujours dans ta maison d’hôte à thèmes ? poursuivit David en prenant place sur sa chaise.

-          C’est quoi, réagit David dont la curiosité venait d’être réveillée.

-          C’est une sorte d’airbnb pas très loin inspiré de l’œuvre de Saint-Exupéry.

-          Ah ok, c’est pas des thèmes genre sexy…

-          Pas vraiment non, ce sont plutôt des chambres à thème lié au bouquin.

-          Et t’as pris laquelle ? s’enthousiasma Cédric en faisant signe au serveur qu’ils voulaient commander.

-          Malheureusement, on ne peut pas choisir sa chambre, du coup je suis dans une chambre sans thème. C’est un peu dommage mais le bon côté c’est que le chat des propriétaires semble y avoir élu domicile, c’est un gros chat noir trop mignon, il me fait penser à Kuro.

-          Et les histoires ? s’inquiéta Cédric à voix basse, ça te fait pas trop peur ?

Le serveur arriva à table, la commande fut vite passé, ils avaient parlé de ce restaurant toute l’après-midi et étaient bien décidé à se faire une orgie de fromage. Seul le choix du vin fit véritablement débat mais David trancha en exhibant les résultats sans concession de son appli de choix de vin. Arnaud n’avait pas quitté Cédric des yeux durant toute l’opération, attendant inquiet que son ami approfondisse sa pensée. Rien ne venait il finit donc par poser la question qui lui brulait les lèvres.

-          Et donc, quelles histoires ?

-          Pardon. Tu n’as rien entendu ? ajouta Cédric la mine déconfite. Bah, quand tu m’en as parlé la dernière fois, je me suis renseigné. J’ai pensé que ça pouvait être un endroit sympa pour une escapade romantique, casser la routine tout ça. Et c’est comme ça que j’ai appris qu’une jeune autrice de livre pour enfant s’était suicidée là-bas. Et il y a des rumeurs bizarres de disparition aussi…

-          Hum… fit Arnaud perdu dans ses pensées en jouant avec la corbeille de pain. Je ne savais pas, c’est sûr que ce n’est pas très rassurant mais bon, j’imagine que tous les hôtels ont leurs histoires de ce genre

-          Surement… conclut Cédric ne voulant pas gâcher la soirée plus qu’il n’avait l’impression de l’avoir déjà fait. Fromage, donc ?

Arnaud plongea la lame de son couteau dans la généreuse tranche de gorgonzola qu’on venait de lui apporter. Il était crémeux à souhait, et son goût juste assez fort pour ne pas être écœurant, c’était l’aboutissement parfait d’une parfaite journée.

S’il avait toujours adoré son travail, Arnaud n’aimait rien tant qu’à profiter de ses petits week-end à la capitale avec ses amis. Ce bar à fromages proposait des planches très fourni de petits fromages bios directement issu du producteur. Vu la qualité et le quartier, le tarif était même abordable et le trio était bien décidé à se faire un plein ventre de ces petites merveilles accompagné d’un Grave qui roulait sous la langue.

De ragots en éclats de rires, la soirée s’était prolongé jusqu’au cœur de la nuit et il ne restait bientôt plus que notre trio d’amis légèrement aviné devant la façade faussement rétro du restaurant. Le patron leur proposa un petit digestif « pour la route » insistant subtilement sur le fait qu’il serait temps de la tracer, cette route.

Il était effectivement tard, le smartphone de David affichait 00h32, le petit groupe se leva donc pour entamer une promenade digestive dans le quartier du marais, encore très vivant malgré l’heure.

-          On se fait une boite ? Demanda David en faisant mine de danser. Je connais un club super à deux pas !

-          Ah nan, désolé, j’suis crevé. Non seulement je me suis fait mal à la jambe hier mais en plus je n’ai pas très bien dormi.

-          C’est trop nul, tu viens jamais avec nous en boite !

-          Je sais, je sais, j’sais pas si c’est l’air parisien ou la fatigue accumulé de la semaine mais je suis toujours crevé quand je viens ici.

-          Ou alors c’est juste parce que tu passes ta journée à courir les magasins ? Railla David

-          Ça peut jouer.

-          Bon, on te laisse là alors ? Conclut Cédric dissimulant avec mal la déception dans sa voix.

-          Ouais, je vais rentrer tranquillement ! Encore merci pour cette journée. Amusez-vous bien.

Arnaud passa sur la place de l’hôtel de ville, la nuit était lourde et la chaleur accumulée au cœur de la journée transpirait par tous les murs. Il accueillit avec gratitude une brise légère qui vint le décoiffer et lui offrir un peu de la fraicheur qui manquait à cette balade nocturne pour être idéale.

Rien ne semblait pouvoir gâter sa bonne humeur, et pourtant, arrivé devant l’hôtel où il séjournait, son voisin, sur le départ, le bouscula sans ménagement. Arnaud ne put s’empêcher de l’interpeler tant il venait d’être violement surpris. L’homme avait une mine affreuse et une expression haineuse telle qu’Arnaud en avait rarement vu.

-          Quoi, tu veux me faire chier toi aussi ? J’en peux plus de cette baraque pourrie. J’ai cauchemardé toute la semaine, j’en peux plus, j’suis crevé, j’aurais jamais dû venir ici.

Arnaud recula d’un pas, hormis des coups il ne sortirait très clairement rien d’une discussion avec ce fou. Il rentra dans le hall de l’hôtel, le gros chat noir se réveilla à son approche et le suivit jusqu’à la porte de sa chambre. A peine Arnaud l’avait ouverte que l’animal s’était précipité entre ses jambes pour reprendre sa place sur le lit.

-          En voilà un qui n’a visiblement aucune raison de se plaindre de l’établissement, s’amusa Arnaud en regardant l’animal se lover au creux des couvertures.

Il ne comprenait que trop l’animal, lui aussi sentait peser sur tout son corps le poids de la fatigue. Il mit donc rapidement un peu d’ordre dans ses affaires avant de se préparer à aller dormir. Pendant qu’il se brossait les dents, il téléchargea Sleepw@lk, après tout ça ne lui coutait rien et ça le rassurerait. Le paramétrage était simple, en quelques secondes il avait tout réglé et pouvait enfin s’endormir du sommeil du juste.

Il n’aurait su dire depuis combien de temps la sonnerie de son téléphone retentissait lorsqu’il essaya d’ouvrir les yeux. Il ne s’extrayait du sommeil qu’avec une peine immense, comme s’il avait dû lutter de toutes ses forces pour s’en extirper.

Il douta même d’être vraiment réveillé tant ce qu’il avait devant les yeux n’avait aucun sens. Près de lui, le gros chat noir sautait sur le téléphone comme pour essayer de l’éteindre. En regardant autour de lui, Arnaud remarqua deux autres personnes qu’il avait déjà vues dans l’établissement, une jolie jeune fille à peine majeure et un quinquagénaire bedonnant.  L’homme était complétement nu et la fille en petite tenue, Arnaud constata qu’il était lui-même en pyjama. Il réalisa par là même qu’il n’était plus dans sa chambre mais dans un grenier encombré et un peu sordide. Il ne comprenait pas ce qu’il faisait là.

La sonnerie du téléphone continuait à résonner de façon stridente ajoutant au stress de la situation. La fille dévisagea ses deux compagnons d’infortune, un voile de panique traversa son regard avant qu’elle commence à hurler de terreur en réalisant qu’elle était enfermée seule dans un endroit inconnu avec deux hommes à moitié nu.  Arnaud était perdu, il ne comprenait rien à ce qu’il se passait mais il sentait que la panique ne l’aiderait pas il devait rester calme, essayer de comprendre ce qu’il venait de voir. Pour tenter de se reprendre, il se récita certains passages du petit prince comme des mantras. L’un d’eux fit tout spécialement écho en lui « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». Au vu de la situation, fermer les yeux n’avait aucun sens et pourtant ? Se pouvait-il que ses sens l’aient abusé, que les apparences soient trompeuses ? Non sans appréhension, il ferma les yeux pour se recentrer, pour essayer de ressentir les choses plutôt que de les comprendre.

La chaleur d’une flamme réchauffa son bras, le téléphone s’était arrêté.

Arnaud ouvrit les yeux, il était toujours dans le grenier mais quelque chose avait changé. Devant lui se tenait une écritoire éclairée par une série de bougies. Une page y était noircie d’encre, il la survola du coin de l’œil ça parlait d’un jeune enfant accompagné d’un chat noir et qui remettait en question le monde qui nous entoure. Le peu qui lut lui évoquait bizarrement le petit prince mais là où le roman de Saint-Exupéry inspirait de noble valeur, ce texte était imprégné d’une violence sourde et de désespoir. Arnaud n’en avait lu que quelques lignes et cela avait réveillé en lui des pulsions de révolte, le besoin de tout détruire pour tout reconstruire. Il n’imaginait pas dans quel état de rage il se trouverait à la lecture du livre entier.

-          Enfin ! Cette satané magie Ordinaire s’est arrêté, fit le chat se réjouissant devant les débris de téléphone qui maculaient le parquet.

Arnaud écarquilla les yeux, il venait d’entendre le gros chat noir parler, il n’avait aucun doute là-dessus et ne comprenait rien de ce qu’il lui arrivait.

-          Oh, t’es un malin toi, fit le chat en réalisant qu’il venait d’être démasqué. Tu n’aurais pas dû voir tout ça tu sais ?

-          Tout ça quoi, balbutia Arnaud et pourquoi je parle à un chat ?

-          Oh, je t’en prie, tu as déjà lu bien pire, grandis un peu !

-          Mais…

-          Mais rien ! Puisque t’es un petit malin, je vais te donner une chance unique. Le petit prince était une erreur, ce satané Lupin m’a piégé avec Saint-Exupéry. Mais aujourd’hui tu as une chance d’entrer dans l’histoire, de finir le livre qui aurait dû sortir à l’époque, celui qui changera tout.

-          C’est de ça que vous parlez ? fit Arnaud en montrant la page qu’il venait de lire. C’est moi qui ai écrit ça ?

-          Ne te vante pas trop, je t’ai beaucoup inspiré ! Mais oui, c’est ta prose et nous sommes sur le point d’achever l’histoire, il ne te reste que quelques heures de travail, nous n’avons même plus besoin des deux autres. Alors, tu n’as pas envie de devenir célèbre ? De changer le monde ?

Arnaud regarda ses deux compagnons d’infortunes, ils étaient terrifiés et comprenaient visiblement la situation encore moins que lui. Il relut quelques lignes des pages qu’il tenait dans sa main, il reconnaissait bien son écriture mais n’arrivait pas à croire qu’il ait pu coucher ça sur le papier. Ce n’était que ressentiment et rage, loin de ce qu’il avait jamais pu prêcher.

-          C’est avec ça que vous voulez changer le monde ? Cet amas de haine ?

-          Tu ne comprends pas ! Le cajola l’animal en se rapprochant de lui. Le petit prince n’était qu’un monceau de niaiseries. Il n’a servi qu’à endormir un peu plus les gens à l’heure où ils auraient dû se dresser fièrement. Je te donne la chance de rectifier cette erreur, de les réveiller enfin.

-          Le petit prince offrait de l’espoir à tous, de l’amitié, de l’amour. Vous, vous voulez juste propager la haine, ce sera sans moi. Conclut Arnaud en déchirant la page qu’il tenait encore en mains.

-          Tu l’auras cherché rugit l’animal en bondissant sur le jeune homme.

Arnaud l’évita de justesse en se jetant au sol, laissant la bête percuter l’écritoire et renverser les bougies dans la pièce.

Sentant qu’ils n’avaient pas de temps à perdre Arnaud poussa les deux autres prisonniers à suivre son exemple et prit ses jambes à son cou. Au bout du grenier et malgré la panique, il trouva le mécanisme d’un passage secret qui le mena au couloir de son étage. Derrière lui, il entendait le feu se propager et le félin gronder d’impuissance.

La porte de sa chambre était encore ouverte, il enfila un pantalon pris ses affaires et sorti sans demander son reste.

 

L’esprit encore embrumé comme tout juste sorti d’un mauvais rêve, Arnaud sorti de l’hôtel en courant sans s’arrêter.

Après plusieurs heures de marche, l’histoire n’était plus aussi claire dans sa tête et il ne souhaitait pas vraiment la clarifier mais ses pieds ne pouvaient toujours pas s’empêcher d’avancer. Ils ne s’arrêtèrent qu’une fois loin de cette folie, en sécurité dans son appartement.

Aux informations, le lendemain, il entendit qu’une fuite de gaz avait causé un incendie et une crise de délire chez les pensionnaires d’un hôtel.

Tout s’expliquait pensa-t-il, le gaz expliquait les mauvaises nuit, le cauchemar et l’incendie, c’était simplement ça, il ne fallait pas y voir autre chose. Il se le répétait comme un mantra mais n’arrivait pourtant pas vraiment à l’accepter.

Quelques jours plus tard, il se décida enfin à défaire son sac qu’il avait jusqu’alors laissé trainer dans un coin de l’entrée. Il y retrouva l’exemplaire dédicacé du petit prince qu’il s’était acheté. Voir ce gros chat noir le dévisager sur la page de garde lui provoqua un puissant sentiment de dégout. Il n’avait jamais fait ça mais le livre termina dans les flammes dans les minutes qui suivirent. Il les regarda danser de façon hypnotique, la brume obscurcissant son jugement s’envolant dans les volutes de fumée de cet insolite feu de joie. Le petit prince resterait toujours son livre préféré mais plus jamais il ne voudrait qu’on y associe un chat.